Le bois-énergie dans la transition énergétique suisse

Le bois est un combustible local doté de circuits de distribution courts dont il est aisé de tirer parti. Nous agissons ainsi directement en faveur du climat, de l’environnement et de forêts saines et stables. Voici un rapide tour d’horizon des possibilités offertes par la deuxième source d’énergie renouvelable en Suisse.


Richard Golay : Ingénieur diplômé de l’EPFL, Energie-bois Suisse

Article initialement paru dans le bulletin n°296 de l’ARPEA, l’Association romande pour la protection de l'environnement. (www.arpea.ch)


Des atouts et des craintes

Représentant en 2022 un peu moins de 6 % du total de l’énergie finale consommée en Suisse, le bois-énergie est en augmentation régulière depuis le deuxième choc pétrolier en 1979 avec une accélération après 2005 (figure 1). Il va jouer un rôle clé dans la transition énergétique, en particulier dans les secteurs du chauffage (part actuelle de 11 %) et de la chaleur pour l’industrie. Ceci est lié au fait qu’il produit de la chaleur haute température — à l’inverse des pompes à chaleur — et qu’il peut être stocké et utilisé en cas de besoin, contrairement au soleil et au vent.

Son importance grandissante participe pleinement à l’objectif d’atteindre la neutralité climatique et de se libérer de notre dépendance aux énergies fossiles, mais elle n’est pas sans générer des craintes dans les milieux de la protection de l’environnement.

Brûler proprement du bois, c’est possible !

Le sujet des poussières fines a déjà été abordé en détail dans le n° 270 du bulletin de l’ARPEA, à l’automne 2016. Il existe encore une certaine confusion pour la population entre les émissions en poussières fines parfois élevées des vieilles installations manuelles à bûches et celles des installations automatiques modernes proches du seuil de détection des appareils de mesure, soit très largement inférieures aux exigences de la protection de l’air.

La problématique a très bien été décrite par la Commission fédérale de l’hygiène de l’air, il y a dix ans déjà, dans son rapport consultable en ligne intitulé « Les poussières fines en Suisse 2013 ». Cet organisme composé d’experts suisses et internationaux explique les très grandes différences suivant le type de chauffage (ancien ou moderne ; automatique ou manuel) et le type combustible bois (bûches, pellets, plaquettes forestières). Grâce à l’amélioration des techniques de combustion et de filtrage, elle souligne la diminution très importante de la quantité des poussières fines émises et de leur nocivité.

Ces améliorations n’ont pas cessé depuis et les seuils limites d’émissions figurant dans l’ordonnance sur la protection de l’air (OPair) ont été abaissés en 2018 avec, en plus, l’introduction de l’obligation de contrôle des chauffages d’une puissance inférieure ou égale à 70 kW.

Une étude de 2021, commandée par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), montre une baisse globale des émissions de poussières fines en poids d’un facteur 6 depuis 1990 jusqu’en 2019 (figure 2) si l’on prend en compte la croissance de la consommation du bois-énergie sur la même période.

La Commission fédérale souligne en particulier la diminution du poids des poussières fines jusqu’à un facteur 100 avec les installations modernes à pellets par rapport aux vieilles installations à bûches. Si l’on tient compte encore du changement dans la composition chimique des poussières fines (absence de suie et d’imbrûlés comme les goudrons), la nocivité diminue d’un facteur 1 000 à 5 000.[1]

Là où aucune autre solution de chauffage faiblement émettrice de gaz à effet de serre n’est techniquement possible,[2] par exemple dans le cas de vieux immeubles classés en milieu urbain, les chaudières aux pellets offrent une solution moderne, fiable et respectueuse de la santé de la population.


[1] Pour plus de détail, consulter le document de référence rédigé pour l’Agence internationale de l’énergie en 2017 par l’expert scientifique et professeur de la Haute école spécialisée de Lucerne, Thomas Nussbaumer
[2] Impossibilités techniques pour les pompes à chaleur air-eau ou géothermique et absence d’un réseau thermique proche


Illustration 2 : Une étude de l’OFEN
Illustration 2 : Une étude de l’OFEN met en évidence la réduction des émissions en poussières fines des différentes catégories d’installations bois-énergie, malgré la forte croissance de son utilisation sur la période considérée. Les catégories se réfèrent à celles définies dans la statistique annuelle bois-énergie de l’OFEN. (Source : Infras et Verenum, 2021)

La forêt et le bois

La forêt couvre un tiers du territoire national et constitue un habitat inestimable pour la faune et la flore. Elle produit une ressource renouvelable qui s’inscrit directement dans les principes de l’économie circulaire soutenue en partie par les politiques publiques. Souvent située loin des centres économiques, l’exploitation du bois soutient et favorise l’économie locale. Les collectivités publiques possèdent deux tiers de la surface totale des forêts, tandis que le tiers restant appartient à environ 245 000 propriétaires privés

La forêt est gérée pour garantir sa multifonctionnalité et ses prestations. Si son exploitation n’est pas un impératif absolu, sa gestion active permet d’assurer la fonction importante de protection que ce soit contre les avalanches, les inondations et les chutes de pierres et de maximiser sa fonction de puit de carbone. La forêt est un espace formidable à la fois comme réservoir d’eau pure et comme réserve de biodiversité. Elle demeure également un espace important de récréation et de détente favorisant notre bien-être et notre santé.

Illustration 3 : Chantier forestier dans la région de Charmey (Fribourg). (Photo : Energie-bois Suisse)
Illustration 3 : Chantier forestier dans la région de Charmey (Fribourg). (Photo : Energie-bois Suisse)

Le bois constitue un matériau de construction renouvelable qui capte du carbone atmosphérique et un agent énergétique neutre en CO2 permettant de remplacer les énergies fossiles. L’Institut fédéral WSL estime à 925 millions de tonnes la quantité de CO2 stockée par la forêt suisse dont la moitié dans le sol forestier.[1] À l’aide de différents scénarii, le WSL arrive à la conclusion que la meilleure solution pour maximiser la capacité de la forêt à piéger le carbone n’est pas de laisser le plus grand nombre possible de gros arbres continuer à croître, mais de l’exploiter de manière raisonnée.

On évalue l’accroissement de la forêt entre 10 et 11 millions de m3 par année. C’est largement supérieur à l’exploitation actuelle, qui est proche des 5 millions de m3. La figure 3 montre l’exploitation du bois de forêt depuis 1995 avec la part du bois-énergie, en rouge, qui a doublé sur la période. Pour des raisons écologiques et économiques, le potentiel réellement exploitable se situe entre 7 et 8 millions de m3 plein, selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).


[1] Étude scientifique réalisée sous la direction du Dr. Ester Thüring du WSL résumée dans le Magazine du WSL Diagonale N°1 2020, pp.10-12 et https://www.wsl.ch/fr/index.html


La Loi forestière donne le cadre de toute action envisageable. Il n’est par exemple pas possible de couper plus de bois que la croissance naturelle, et les coupes rases sont interdites en Suisse. La Loi forestière pose également le principe de subsidiarité qui assure la bonne collaboration à tous les échelons : la Confédération travaille avec les cantons qui eux-mêmes travaillent avec les propriétaires forestiers.

La pression sur la forêt est devenue clairement grandissante : on l’observe avec le réchauffement climatique et le stress qu’il génère sur les arbres, mais aussi avec des attentes sociales et économiques toujours plus grandes. La politique forestière permet d’effectuer une pesée d’intérêt entre les utilisations et la protection pour ainsi garantir la multifonctionnalité de la forêt dans le futur.

L’utilisation en cascade du bois et ses limites

Il va de soi que le bois doit toujours être utilisé à sa valeur la plus optimale et donc d’abord comme matériau de construction renouvelable permettant de substituer des matériaux de construction à forte intensité énergétique tels que le béton ou l’acier. On parle de l’utilisation du bois « en cascade ». Dans un document de référence de 2021, intitulé « Politique de la ressource bois 2030 », l’OFEV rend néanmoins attentif à la réalité du marché. « En Suisse, il est actuellement difficile de valoriser le bois au maximum, car il manque des acheteurs importants à plusieurs étapes d’utilisation (cellulose, bois usagé). Comme il n’existe aucun modèle d’affaires couvrant l’ensemble des utilisations, la cascade du bois, de sa première utilisation en tant que matériau de construction à sa valorisation énergétique (ndlr : sous forme de bois usagé), est relativement courte. »

Plusieurs essences et des qualités différentes de bois sont utilisées. Une partie d’entre elles ne convient ni à la construction de bâtiments ni à la fabrication de mobilier. Il est donc raisonnable d’utiliser ce bois en tant que combustible neutre en CO2 permettant de substituer les agents énergétiques fossiles. Les utilisations comme matériau et combustible ne sont d’ailleurs pas antinomiques, elles se complètent : l’affectation du bois comme matériau et sa transformation produisent au total jusqu’à 40 % de produits connexes sous forme de sciure et de copeaux. Ces coproduits constituent une source d’énergie de qualité et une matière première bienvenue pour l’extrusion de pellets (figure 4).

Illustration 5 : À chaque étape de transformation du bois, il y a génération de produits connexes valorisables en énergie. Dans les scieries, le pourcentage est d’environ 40 %. (Source : proPellets.ch)
Illustration 5 : À chaque étape de transformation du bois, il y a génération de produits connexes valorisables en énergie. Dans les scieries, le pourcentage est d’environ 40 %. (Source : proPellets.ch)

Situation actuelle de la filière

On distingue les types d’installation bois-énergie principalement en fonction de leur puissance. Actuellement une dizaine de très grandes centrales à bois d’une puissance thermique de 10 MW au moins sont en service en Suisse. Équipées le plus souvent d’une unité de cogénération (production couplée de chaleur et d’électricité), elles brûlent surtout du bois usagé (bois de démolition) et du bois de forêt. Ces dernières années, des problèmes d’approvisionnement en bois usagé sont apparus. Des exploitants de ce type d’installation ont dû se rabattre davantage sur le bois de forêt déstabilisant le marché suisse vu les volumes élevés en jeu et d’autres ont été contraints de réduire leur activité. L’une des raisons est que près de 300 000 tonnes (450 000 m3) de bois usagé — environ un tiers de la production annuelle — sont exportées. À cela s’ajoute le fait que la part de bois usagé provenant de démolitions de bâtiments a diminué ces dernières années.

Les moyennes et grandes installations de chauffage au bois déchiqueté (puissance entre 500 kW et 10 MW) ont constitué le segment avec les taux de croissance les plus élevés. Elles consomment en majeure partie de bois de forêt ainsi que de bois issu de l’entretien du paysage. Il existe aujourd’hui de nombreux projets d’installations en cours de planification, et d’autres encore au stade de la réflexion. Compte tenu des volumes de bois en jeu, il convient de clarifier la question de l’approvisionnement à un stade précoce, en particulier pour les projets d’envergure.

Pour les petits chauffages aux bûches, il n’existe actuellement aucune information ni donnée solide quant à l’évolution de la demande et de l’offre de bois ; les renseignements disponibles reposent uniquement sur des indices d’une demande croissante et d’une augmentation du taux d’utilisation. Cela s’observe particulièrement avec la situation actuelle d’approvisionnement énergétique incertaine à l’échelle mondiale (guerre en Ukraine).

En raison de la densité énergétique[1] élevée des pellets et du fonctionnement automatisé de ces chauffages, cette technologie est fort appréciée dans les maisons individuelles et les immeubles. Depuis peu, les chauffages à pellets sont toutefois de plus en plus utilisés pour répondre également à des besoins de puissance plus élevée, comme pour des complexes immobiliers. L’arpeamag a d’ailleurs présenté dans son numéro 292 l’exemple d’une substitution du mazout par des pellets pour approvisionner en chaleur trois bâtiments à Lancy, dans le canton de Genève. La figure 5 montre l’évolution de la consommation des pellets en Suisse, ainsi que de la production indigène et des importations (à 95 % en provenance d’Allemagne, d’Autriche et de France). Après une forte augmentation de 42 % du nombre de nouveaux chauffages à pellets en 2021, celle-ci a été de 22 % en 2022. Différents événements ont créé des tensions importantes dans l’approvisionnement pour l’hiver 2022-23 qui ne devrait pas se reproduire pour l’hiver 2023-24. Pour poursuivre la croissance, il sera nécessaire de miser davantage sur l’utilisation directe de bois ronds transformés en pellets respectant la norme ISO 17225-2  ou sur de la nouvelle biomasse (plantations énergétiques, litière de fumier de cheval, etc.).


[1] Contenu énergétique par unité de masse ou de volume


Illustration 6 : Développement du marché suisse du pellet depuis 2015. (Source : proPellets.ch, 2022).
Illustration 6 : Développement du marché suisse du pellet depuis 2015. (Source : proPellets.ch, 2022).

Potentiel restant et perspectives

La Division forêt de l’OFEV a mandaté l’association faîtière Energie-bois Suisse à l’été 2022 pour mettre en place un suivi (monitoring) du potentiel restant de la ressource. Celui-ci doit permettre de connaître dans le détail la situation actuelle — parfois très différente suivant les cantons — et de définir un outil simple et efficace permettant d’avoir dans le futur un suivi en continu capable d’intégrer les évolutions rapides. Les résultats finaux de l’étude sont attendus pour la fin de l’été 2023 et la figure 5 présente un tableau des résultats intermédiaires montrant le potentiel restant de la ressource. S’il était encore grossièrement évalué ces dernières années à 50 % de la consommation de cette époque, les estimations plus précises entamées depuis 2021 montrent une forte diminution pour atteindre aujourd’hui environ 20 %. De nombreux cantons ont actualisé leurs anciennes évaluations ou sont en cours de le faire. Cela permettra dans un avenir proche d’avoir une représentation aussi précise que possible.

Illustration 7 : Estimation par type de combustible bois de l’utilisation pour 2021, du potentiel total (durable) et du potentiel restant en bois-énergie sans considération de la provenance du bois. (Source : Energie-bois Suisse, 2023)
Illustration 7 : Estimation par type de combustible bois de l’utilisation pour 2021, du potentiel total (durable) et du potentiel restant en bois-énergie sans considération de la provenance du bois. (Source : Energie-bois Suisse, 2023)

À ce jour, on estime à 1,7 million de m3 les besoins pour réaliser les projets en phase de planification et les projets encore en phase de discussion ; la répartition pour ces deux catégories est d’environ 50 % chacune. Si l’on prend en outre en compte l’extension des réseaux thermiques existants estimée à 0,5 million de m3 et l’augmentation probable des petites installations, le sens d’un monitoring est immédiatement clair pour éviter un dépassement du potentiel durable.

La limitation de la ressource va inciter toujours plus la filière à une valorisation énergétiquement optimale. Pour les réseaux thermiques[1] existants, il s’agit par exemple d’optimiser les sous-stations des réseaux thermiques pour abaisser les températures dans les conduites et limiter les pertes. Suivant les cas, la condensation des fumées et donc la récupération de la chaleur latente nécessaire à l’évaporation de l’eau devient possible. Le séchage forcé des plaquettes forestières à des taux élevés au moyen de chaleur résiduelle est aussi une voie d’ores et déjà applicable qui permet d’élever sensiblement le pouvoir calorifique des plaquettes forestières. Pour les petites unités, le couplage des chaudières à bois avec des panneaux solaires thermiques permet de couvrir la demande en chaleur et eau chaude sanitaire jusqu’à 60 % avec le solaire et de réduire ainsi d’autant l’usage du bois-énergie.

Et à l’horizon 2050 ? Au Symposium 2022 du bois-énergie à Zurich, le professeur Thomas Nussbaumer de la Haute école spécialisée de Lucerne a présenté un concept global de valorisation des énergies renouvelables en couplant le bois-énergie avec des pompes à chaleur alimentées par du courant photovoltaïque. En limitant au maximum l’utilisation du bois-énergie pour chauffer les bâtiments, on pourra libérer une part importante de la ressource pour approvisionner l’industrie en chaleur de processus haute température. Dans le cas du chauffage des bâtiments, la production couplée d’électricité et de chaleur avec le bois-énergie serait limitée à la période froide de l’hiver pour permettre l’alimentation des pompes à chaleur et ainsi limiter notre dépendance en électricité provenant de l’étranger.[2]

Pour participer au succès de la transition énergétique en Suisse, l’ensemble des acteurs de la filière bois-énergie — dont les collectivités publiques et la population — doivent poursuivre leurs efforts pour exploiter de manière durable le formidable potentiel énergétique du bois.


[1] synonyme de chauffage à distance
[2] Synthèse publiée dans la revue hkgebäude technik du 16.2.2023


 

Références :

  • Confédération suisse, Commission fédérale de l’hygiène de l’air. (2013). Les poussières fines en Suisse. LIEN
  • Thomas Nussbaumer. (2017). Aerosols from Biomass Combustion. IEA Bioenergy Task 32
  • Énergie-bois Suisse. (2020). Nos forêts : un écosystème précieux pour la flore, la faune et l’homme », clip vidéo de 16′ 30″ https://youtu.be/k1BqgD3AmSQ
  • OFEV. (2021). Politique de la ressource bois 2030. Stratégie, objectifs et plan d’action bois 2021-2026 
  • Keel, A. directeur d’Energie-bois Suisse. (2022). Bien que renouvelables, certains bois ne chauffent qu’une fois. N° 6 du mensuel La Forêt.
  • Keel, A.  (2023). Il devrait exister une relation saine entre l’offre et la demande. N° 1+2 du mensuel La Forêt.
  • Keel, A. (2023, 21 avril). Potentiel du bois-énergie en Suisse. Présentation au séminaire de l’EnFK, Berne.
  • Thomas Nussbaumer (16.2.2023) PV-Wärmepumpen und Holz für Gebäudewärme. Revue hkgebäude technik.



 

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Texte: Richard Golay : Ingénieur diplômé de l’EPFL, Energie-bois Suisse

Article initialement paru dans le bulletin n°296 de l’ARPEA, l’Association romande pour la protection de l'environnement. (www.arpea.ch)

Informations

www.energie-bois.ch

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